À travers les yeux innocents de mon enfance, il m’était difficile de ne pas associer le terme « holiday » qu’on traduit en français par « fête, congé, vacances et jour férié » à des sentiments chaleureux de célébration et d’unité. Les célébrations des Fêtes qui soulignaient la fin d’une année et le début d’une nouvelle année, des vacances d’été qui semblaient s’éterniser ou même simplement une journée de congé d’école qui prolongeait la relaxation d’une fin de semaine. Bien sûr, il y avait le jour férié du 11 novembre, mais les répercussions des guerres passées et des soldats morts au combat ne nous donnaient qu’au mieux qu’un bref moment de réflexion sur l’espace privilégié de ma génération. Même en tant que Mi’kmaq grandissant à Terre-Neuve, qui luttait pour trouver ma place et me connecter à ma culture qui avait été complètement effacée par des générations de politiques ayant forcé l’assimilation, ma lutte semblait tristement insignifiante par rapport aux personnes touchées par l’héritage du système des pensionnats canadiens. Vu le rôle des églises dans l’administration de ces écoles, on ne peut que voir toute l’ironie dans les références à la journée commémorative de cette semaine en tant que « holiday ». [Holiday, en vieil anglais hāligdæg ou « Jour saint »]
Il y a un an cette semaine, le Canada a officiellement marqué le premier jour férié fédéral en l’honneur des enfants perdus et des survivants des pensionnats gérés par l’Église et financés par le gouvernement. Encore une fois cette année, alors que nous reconnaissons la Journée nationale de la vérité et de la réconciliation, nous prenons le temps de nous souvenir de ceux qui ont été oubliés trop longtemps et de ceux qui continuent de subir les impacts d’un traumatisme intergénérationnel.
Le jour férié fédéral découle de la recommandation 80 des 94 appels à l’action de la Commission de vérité et réconciliation (CVR). La Commission CVR fait d’ailleurs suite à la plus importante poursuite collective jamais intentée au Canada. La Commission a passé environ 8 ans à parler avec des témoins et des survivants d’abus dans les pensionnats et à résumer ses conclusions dans un rapport de 6 volumes publié en 2015. Le rapport présente 94 mesures spécifiques qui pourraient être mises en œuvre pour reconnaître l’histoire douloureuse du système des pensionnats et pour créer des systèmes qui viendraient prévenir de telles atrocités à l’avenir.
Le choix du 30 septembre pour marquer ce jour a été une décision très délibérée, car la date coïncide également avec la Journée du chandail orange, une journée où les peuples autochtones se sont mis à reconnaître le mal que le système des pensionnats a fait au sentiment d’estime de soi et de bien-être des enfants et aussi pour affirmer avec raison que chaque enfant compte. Ce mouvement est né de l’histoire poignante de Phyllis Webstad, qui raconte la façon dont elle a été dépouillée de ses vêtements dès le premier jour à son école de mission, y compris son chandail orange. Le chandail orange préféré de Phyllis représente évidemment de façon symbolique bien plus qu’un vêtement interdit. Il vient décrire la façon dont la famille, la culture et l’espoir ont été systématiquement arrachés aux peuples autochtones depuis des générations et l’ampleur de cette perte sur tant d’aspects de la vie autochtone.
Il a malheureusement fallu six ans pour aller de l’avant sur la recommandation 80 du rapport de la CVR. L’année dernière, la révélation de la découverte d’environ 200 sépultures à un ancien pensionnat de la Colombie-Britannique sur le territoire de la Première Nation de Tk’emlúps te Secwépemc et suivie par des preuves supplémentaires par la Première Nation de Cowessess de 750 autres tombes anonymes dans un ancien pensionnat de la Saskatchewan ont contribué à accélérer l’annonce du jour férié de 2021. Depuis lors, on a fait encore plus de découvertes, surtout dans l’Ouest canadien, avec environ 2 300 lieux de sépulture maintenant révélés, soit 2 300 histoires inédites.
On demande souvent aux peuples autochtones ce qui peut être fait pour favoriser la réconciliation. La première chose que je recommande est de montrer vos couleurs et de participer à la Journée du chandail orange. Je vous invite à éviter la tentation d’acheter votre chandail dans un magasin à grande surface. Procurez-le-vous plutôt directement auprès d’une organisation, d’un artiste ou d’une communauté autochtone. Deuxièmement, lisez et tentez de bien comprendre les 94 appels à l’action. Ils constituent la feuille de route pour la réconciliation et offrent des mesures concrètes pour aider les peuples autochtones à guérir. Des recommandations concrètes sont ciblées sur les besoins primaires tels que le bien-être de l’enfant, l’éducation, les soins de santé, la langue et la culture, ainsi que la justice. Malgré les bonnes intentions de chacune de ces 94 recommandations, sept années se sont déjà écoulées et seulement 13 recommandations ont été mises en œuvre à ce jour. En tant que Canadiens, nous avons la responsabilité morale de faire mieux que cela. Chaque Canadien devrait connaître et comprendre la véritable histoire sur la façon dont l’Église et le gouvernement ont traité les peuples autochtones. Nous devons mettre ce programme au premier plan et faire en sorte que nos parlementaires s’engagent à mettre en œuvre les 94 recommandations. Nous devons comprendre qu’être autochtone au Canada n’a pas été un « holiday ».